Jadis considérée comme une lubie de technophiles occidentaux, la cryptomonnaie a franchi les frontières numériques pour s’inviter dans les réalités quotidiennes des populations africaines. Au Cameroun, comme dans bien d’autres coins de l’Afrique subsaharienne, l’intérêt pour les actifs numériques ne cesse de grimper en flèche. Qu’il s’agisse de recevoir des fonds depuis l’étranger, de sécuriser son épargne face à une monnaie locale instable, ou même d’investir dans l’avenir, les usages sont multiples. Aujourd’hui, comment acheter du bitcoin n’est plus l’apanage d’une poignée d’initiés, mais bien une porte d’entrée accessible pour des milliers de jeunes Camerounais en quête de solutions économiques innovantes.
Un écosystème en pleine effervescence
L’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde où la croissance de l’adoption des cryptomonnaies est la plus rapide. Selon une étude de Chainalysis de 2023, elle représente environ 2 % du volume mondial de transactions crypto — un chiffre modeste en apparence, mais particulièrement significatif lorsqu’on le met en regard du faible taux de bancarisation. En effet, moins de 30 % de la population adulte en Afrique subsaharienne dispose d’un compte bancaire formel, selon la Banque mondiale.
Le Cameroun, à l’instar de ses voisins comme le Nigeria ou le Ghana, voit émerger une génération ultra-connectée, férue de technologie, qui utilise son smartphone comme un couteau suisse financier. Paiement de factures, transferts internationaux, achat d’actifs numériques : tout se fait désormais au bout des doigts.
Cryptomonnaie et inclusion financière : une alliance naturelle
L’un des principaux avantages des cryptomonnaies dans cette région est leur capacité à contourner les lourdeurs administratives et l’infrastructure déficiente du système bancaire traditionnel. En zone rurale, où les agences bancaires se comptent souvent sur les doigts d’une main, les monnaies numériques permettent aux habitants de participer à l’économie mondiale sans quitter leur village.
C’est aussi un outil puissant pour les femmes et les jeunes, souvent exclus des circuits financiers classiques. Grâce à un simple téléphone mobile, une commerçante de Garoua peut recevoir un paiement d’un client à Yaoundé, ou même d’un parent installé à Paris, en quelques minutes, sans frais exorbitants.
Une protection contre l’instabilité monétaire
La cryptomonnaie, et notamment le Bitcoin, est aussi perçue comme une valeur refuge dans des contextes économiques instables. L’inflation galopante du franc CFA, combinée à une dépendance aux devises étrangères, pousse de nombreux Camerounais à se tourner vers des alternatives plus résilientes.
Ainsi, convertir une partie de ses économies en actifs numériques devient une forme d’assurance, comme on mettrait de l’argent “sous le matelas”, mais cette fois-ci dans un portefeuille numérique inviolable. On ne met pas tous ses œufs dans le même panier : les usagers intelligents répartissent leurs avoirs entre cryptos, mobile money et cash pour jongler entre sécurité, accessibilité et liquidité.
Des opportunités économiques en pagaille
Au-delà de l’usage personnel, les cryptomonnaies génèrent aussi un écosystème économique fertile. De plus en plus de startups camerounaises proposent des services en lien avec la blockchain : plateformes de change, portefeuilles numériques, services de transfert transfrontalier, formations… C’est tout un pan de l’économie numérique qui émerge, créant des emplois, attirant des investisseurs et stimulant la créativité.
On observe également un engouement pour le “crypto-trading” et les jeux play-to-earn, notamment chez les jeunes. Ce n’est pas la poule aux œufs d’or pour tous, mais certains y trouvent un revenu complémentaire, voire un tremplin vers l’entrepreneuriat numérique.
L’envers du décor : risques et zones d’ombre
Mais tout n’est pas rose dans le monde des cryptos. En l’absence de cadre réglementaire clair, les utilisateurs sont souvent livrés à eux-mêmes. Arnaques, plateformes frauduleuses, promesses de rendement mirifiques : les pièges sont nombreux, et les pertes peuvent être lourdes.
L’État camerounais, comme bien d’autres en Afrique, peine à suivre le rythme effréné de cette révolution numérique. Les autorités financières oscillent entre méfiance, interdiction partielle, et tentatives d’encadrement. Le flou juridique actuel crée une zone grise, dans laquelle les bons acteurs côtoient les mauvais, au détriment de la confiance du grand public.
Le rôle des diasporas et des transferts de fonds
Un autre moteur essentiel de l’adoption crypto en Afrique subsaharienne est la diaspora. Chaque année, les Camerounais de l’étranger envoient près de 300 millions de dollars au pays. Mais les canaux classiques de transfert sont souvent coûteux et lents. C’est là que les cryptomonnaies entrent en scène : elles permettent de transférer de l’argent rapidement, à moindre frais, et de manière quasi instantanée.
Certains membres de la diaspora vont même plus loin, en investissant directement dans des projets locaux via la blockchain, favorisant ainsi l’émergence de nouveaux modèles de financement participatif décentralisé.
Vers une souveraineté monétaire africaine ?
Certains analystes voient dans l’essor des cryptomonnaies en Afrique un levier potentiel de souveraineté monétaire. Depuis l’époque coloniale, de nombreux pays africains utilisent encore des devises sous contrôle extérieur, comme le franc CFA. À travers les cryptos, les populations reprennent en quelque sorte le pouvoir sur leur épargne, leurs échanges et leur avenir financier.
Mais pour que ce mouvement s’enracine durablement, il faudra plus que de la bonne volonté : il faudra de l’éducation financière, des régulations intelligentes, une infrastructure numérique fiable et une volonté politique de créer un cadre propice à l’innovation.
L’éducation, clé de voûte du changement
Comme le dit un proverbe camerounais, “on ne montre pas le chemin à un aveugle avec les mains sales.” Pour que les cryptomonnaies soient un vrai vecteur de transformation sociale, il est essentiel que les citoyens soient formés, informés, et accompagnés dans leur usage.
Heureusement, de nombreuses initiatives voient le jour : bootcamps crypto dans les universités, webinaires communautaires, contenus éducatifs en langues locales… Ce sont autant de pierres posées à l’édifice d’une économie numérique plus inclusive.
Conclusion : entre promesses et prudence
L’adoption des cryptomonnaies au Cameroun et en Afrique subsaharienne est un mouvement aussi spontané que puissant, porté par une jeunesse débrouillarde, connectée et avide de solutions concrètes. C’est une véritable révolution silencieuse, qui transforme en profondeur les habitudes économiques et redéfinit les contours de l’inclusion financière.
Toutefois, comme toute lame à double tranchant, cette révolution doit être maniée avec précaution. Il appartient aux acteurs publics, aux innovateurs privés et aux communautés d’utilisateurs de construire ensemble un avenir où la cryptomonnaie ne sera pas une énième bulle, mais bien une fondation solide pour une Afrique plus autonome, prospère et résiliente.